13 janvier 2015

[Paix Liturgique] Le dialogue entre fidèles de différentes sensibilités catholiques. Chiche! Car voilà ce que nous désirons

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre 472 - 13 janvier 2015

La lecture attentive du livre Qui sont les cathos aujourd’hui ?, enquête sociologique auprès des catholiques français menée de 2010 à début 2013 par l’association Confrontations (1) et présentée par Yann Raison du Cleuziou chez Desclée de Brouwer, nous inspire quelques réflexions et un vœu pour l’Église de France en ce début d’année.

I – UN OUVRAGE SCIENTIFIQUE, MÊME SI...

Fruit de trois années d’enquête (de 2010 à 2013) auprès de 177 catholiques, l’ouvrage de Yann Raison du Cleuziou, universitaire et chercheur bordelais, est avant tout une contribution scientifique à la sociologie des catholiques français de ce début de troisième millénaire.

Dans sa première partie, il dresse les portraits de 12 catholiques typiques, « du plus éloigné de l’Église au plus traditionaliste » ; puis, dans sa seconde partie, il analyse le rapport des enquêtés avec l’institution ecclésiastique, leur niveau d’engagement dans la foi et leur vision de l’avenir de l’Église.

L’ambition des enquêteurs est d’aborder la crise de l’Église, qualifiée de « lieu commun sociologique », sous l’angle de la compréhension qu’en ont les catholiques pour « entreprendre une description des sensibilités et des interprétations de la situation actuelle de l’Église de France » (p. 17). Et, en dépit des « points aveugles » dans la constitution du panel que les enquêteurs eux-mêmes reconnaissent, il faut dire que l’objectif est atteint. En tout cas dans la première partie du livre. Bien que les catholiques "traditionnels" soient sous-représentés par rapport aux chrétiens "progressistes" parmi les enquêtés, les douze familles proposées par Yann Raison du Cleuziou représentent bien (2) tout l’arc-en-ciel du catholicisme car, et c’est une grande qualité de cette étude, l’auteur évite soigneusement toute caricature, ce qui est suffisamment rare pour être salué. 

Enquête sociologique, ce travail souffre toutefois du fait qu’il ne cherche jamais à mesurer le poids que représentent les sensibilités étudiées, leur nombre, leur audience, leur influence. Marc Baudriller, dansLes réseaux cathos - Leur pouvoir, leurs valeurs, leur nouvelle influence (Robert Laffont, 2011), tentait au contraire constamment de mesurer les groupes dont il parlait. Qui sont les cathos aujourd’hui ? est un assez bon portrait des courants du catholicisme contemporain mais n’est ni une analyse dynamique de celui-ci ni, a fortiori, une tentative de prospective.

Dans la seconde partie, le déséquilibre du panel se fait en effet grandement sentir. Sur la trentaine d’interviouvés qui affichent leur engagement dans le scoutisme, 29 sont en effet scouts ou guides de France (un seul scout unitaire et deux FSE) ; parmi la dizaine d’interviouvés qui revendiquent une activité syndicale ou politique, un seul n’est pas de gauche (un UMP tradisant) quand tous les autres sont à la CGT, au PC ou à SUD – aucun proche de Madame Boutin ou de François Bayrou ni du FN alors que les enquêteurs citent un sondage de La Vie qui indiquait que seulement 3% des catholiques pratiquants avaient voté Mélenchon à la présidentielle de 2012 mais 17% Bayrou et 15% Le Pen... Si ce déséquilibre a une influence dans cette seconde partie c’est parce qu’il conditionne les thèmes commentés. Ainsi, alors que les pages sur la messe (pp. 189-203), « une référence qui reste centrale », sont équilibrées et intéressantes, tout comme celles (pp. 251-261) sur les différents courants protestataires qui existent au sein de l’Église (2), les autres souffrent d’une vision univoque.

Arrêtons-nous un instant sur le chapitre 6, « Au sein des paroisses : des statuts et des rôles qui ne coïncident plus », sans doute le plus orienté de tous. Une large place y est accordée à « l’étrangeté du célibat des prêtres » ; à « l’exclusion des femmes de l’ordination sacerdotale » (p. 229) ; au fait qu’elles se sentent subordonnées aux hommes alors qu’elles représentent 90% du personnel laïc des diocèses (p. 225) ; au vide sacerdotal occupé par les laïcs qui débouche sur le constat que « le prêtre n’est plus indispensable » à la célébration des rites (p. 219)... Autant de thèmes dont nous ne saurions nier l’existence mais qui sont tous portés par les témoignages des « conciliaires revendiqués » du panel. Gageons que si ce panel avait été plus à l’image de la réalité du catholicisme français, des questions comme celles de la représentativité et de l’idéologisation des conseils paroissiaux, du bien-fondé des remembrements diocésains et de la fonctionnarisation des curés, par exemple, auraient été aussi posées... En aucune manière, l’étude ne fait état du mouvement de fond qui soulève le catholicisme français aujourd’hui et qui va dans le sens de cette révolution conservatrice analysée par Gaël Brustier, un sociologue proche du PS, dans son livre Le Mai 68 conservateur, que restera-t-il de la Manif pour tous (Cerf, 2014).

On retrouve cette distorsion dans le chapitre 7 qui s’intitule « Une vision désenchantée des sommets de l’institution ». Si le constat de l’existence d’un « schisme intérieur » (p. 236) entre le sommet et la base, les laïcs et les prêtres, peut en effet rassembler transversalement bien des catholiques, les reproches exprimés envers le clergé sont à sens unique : trop « corporatiste », trop « hors du monde », trop « romain ». Personne pour se plaindre d’un clergé trop sécularisé, trop soixante-huitard ou insuffisamment préparé doctrinalement ou liturgiquement. Du coup, la seule crainte qui paraît habiter les catholiques interviouvés est celle d’une « invasion de l’Église de France par les tradis et les catholiques identitaires » (p. 242)... Un peu biaisé, non ?

Surtout, le déséquilibre du panel entraîne l’absence totale, dans cette deuxième partie, de l’évocation du problème de la transmission de la foi catholique : pas un mot sur l’urgence catéchétique ni sur la situation de l’enseignement catholique. Sans puiser forcément leurs interviouvés chez les traditionalistes (3), la consultation de familles proches des équipes Notre-Dame, des AFC ou de la Communauté Saint-Martin aurait certainement fait émerger ces questions.

Qui sont les cathos aujourd’hui ? reste cependant un livre à lire, notamment pour bien comprendre la psychologie de tous ces courants conciliaires aujourd'hui en perte de vitesse mais encore aux commandes de nombreux pans de l'Église de France.

II – FAVORISER LA COMMUNION ET LA FRATERNITÉ

« Notre responsabilité de baptisés et d’ "intellectuels chrétiens" est de contribuer à ce que la communauté catholique devienne un signe toujours plus crédible de communion et de fraternité au moment où la planète traverse une crise économique, sociale et écologique sans précédent qui jette dans la misère plus de la moitié de l’humanité. Un nouveau chapitre de notre histoire s’ouvre probablement avec le pape François qui ne se lasse pas d’inviter non seulement les chrétiens, mais toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté, à vivre au quotidien la fraternité, la miséricorde et la justice. Si cet ouvrage pouvait faciliter le partage et la discussion parmi les catholiques, il aurait atteint son but. Là est le plus vif souhait de Confrontations. »

Ce paragraphe, qui termine la présentation de l’ouvrage, en page 9, colle parfaitement, pour le coup, à la ligne que Paix liturgique s’efforce de suivre semaine après semaine. Et si nous nous arrêtons aujourd’hui sur l’ouvrage de Yann Raison du Cleuziou, c’est précisément pour participer de cette nécessaire communion fondée sur le partage et la discussion entre catholiques. Toutefois, comme le souligne fortement le chercheur dans la phrase de conclusion de son ouvrage : « Encore faudrait-il que les catholiques se parlent pour qu’ils puissent s’entendre. »


Pour que cette évidence, indispensable à nos yeux, ne demeure pas un vœu plus ou moins pieux et vain… il appartient à chacun de nous d’y œuvrer au quotidien et à la place qui est la nôtre, en commençant par nos paroisses. Il appartient aussi à nos pasteurs de permettre l’établissement de ce dialogue et de montrer l’exemple. Nous formons donc le vœu, en cette année 2015, pour que nos pasteurs, à commencer par Mgr Pontier, président des évêques de France, acceptent enfin d’entendre la voix de leurs fidèles… de TOUS leurs fidèles.
***
(1) « Confrontations » donne son nom à la collection dans laquelle est publié cet ouvrage chez Desclée de Brouwer et dont le directeur est le dominicain Hervé Legrand, vice-président de l'association. Issue du Centre catholique des intellectuels français, Confrontations est proche des milieux progressistes comme on le lit dans la note de la page 6 : Action catholique, CCFD, Amis de Témoignage chrétien, Comité de la Jupe, etc.

(2) La seule famille qui nous semble factice est celle des « adolescents qui n’accrochent pas » (pp. 130-140) représentée par un jeune scout de France à peine catéchisé issu d’une famille chrétienne mais « pas pratiquante » (p. 131). Le propos de l’enquête étant de représenter des chrétiens « engagés » (p. 19), le choix de ce profil semble hors-sujet alors que, des routes de Chartres à la sortie des écoles hors-contrat en passant par la Manif pour tous, il était facile de trouver des ados pour lesquels leur foi est un engagement de tous les jours.

(3) Il est toutefois sidérant, dans le paragraphe consacré à Paix liturgique, page 253, de voir cité nos sondages – scientifiquement et sociologiquement non contredits – sans que les résultats de ceux-ci ne soient jamais utilisés par l’auteur. Tout comme nous avons lu avec surprise que nous produisions « des évaluations des évêques » qui ne seraient pas « sans rappeler le classement annuel des évêques publié par Golias ». Même si nous avons déjà entendu cette assertion dans la bouche d’un évêque que nous aimons bien, elle n’est rien de moins que mensongère, ce qui fait un peu tache dans un tel ouvrage.

(4) Deux « tradis » estampillés comme tels seulement sur les 177 interviouvés (un laïc et un prêtre). Et le recours pour le portrait de famille des « tradis en reconquête » à l’entretien avec l’abbé Escher que nous avons publié dans notre lettre 268. Si le résultat est honnête, la méthodologie est toutefois critiquable, l’abbé Escher étant Suisse... Étrangement, l’auteur – un sociologue, pourtant ! – épingle la trop grande propension qu’auraient selon lui les traditionalistes à mettre en avant leurs « chiffres » même si, comme il le reconnaît, lesdits chiffres devraient singulièrement modérer certaines de ses analyses...