2 mars 2015

[Abbé Simoulin, fsspx - Le Seignadou] La romanité n'est pas un vain mot

Le Seignadou - mars 2015

Nos sœurs et nos enfants ont encore les yeux pleins de lumière, le cœur plein de joie, l’âme toute pleine des grâces reçues à Rome, et l’esprit encore tout embaumé du « parfum de Rome ». Quel bonheur !

Nous avons tous suivi de prés ou de loin le si beau pèlerinage de nos sœurs et de leurs élèves à Rome. Les plus heureux ont pu y participer, et ce fut une magnifique démarche de foi, dans laquelle se conjuguaient la reconnaissance pour ces quarante années de grâces et la fière et tranquille affirmation publique de notre fidélité à la Rome éternelle, celle des papes mais surtout celle des martyrs.

C’est la deuxième fois en quinze années que les « exclus » se rassemblent en nombre auprès de la tombe de St Pierre, pour affirmer leur romanité et leur fidélité à l’Eglise. En 2.000, ce fut la Fraternité St Pie X, et cette année la Congrégation des Dominicaines du Saint Nom de Jésus, avec ses religieuses, ses familles et amis, et surtout ses enfants, petites et grandes. Pour toutes, cela demeurera un grand moment de ferveur théologale, et il faut espérer que toutes en garderont une forte et durable empreinte.

Ce pèlerinage n’est pas passé inaperçu, et les hôtes du Vatican n’ont pas manqué d’ouvrir tout grand les yeux devant cette cohorte de religieuses et d’enfants, enthousiastes, ferventes et recueillies. Certes, mais je ne veux pas m’attarder là-dessus, nous aurions aimé chanter la messe, au moins une fois, dans une des basiliques romaines! Pour la joie de tous et toutes, et pour le bien et l’édification des enfants, pour imprimer dans leur cœur par la messe un amour vivant pour Rome et l’Eglise, c’eût été une grâce insigne.

Mais laissons cela, et demeurons dans l’action de grâces, cela est plus édifiant, pour entretenir en nous l’amour de Rome. Quella roma, onde Cristo è romano. Nous connaissons peut-être ce beau vers de Dante: « Cette Rome dont le Christ est romain ». Sans qu’il en ait eu l’intention, le poète a dit là une profonde vérité.

Le philosophe Etienne Gilson faisait de belles considérations sur la pensée de Dante à ce sujet : « Nous sommes ici au cœur de la pensée politique de Dante sous sa forme la plus universelle et la plus philosophique […] Dante s'employait à démontrer une vérité qu'il tenait avec raison pour originale et neuve, qui l'est d'ailleurs encore aujourd'hui dans son essence, sinon dans le détail de sa réalisation: un monde un, uni sous l'autorité d'un Empereur libre, et une Église mondiale une, unie sous un Pape également unique et libre, ce Pape et cet Empereur ne relevant l'un et l'autre que de Dieu. L'empire donc, mais quel empire? Aux yeux de Dante, la question ne se posait pas, car sa Monarchie en retrace l'histoire pour en établir les titres. Cet empire existe déjà en germe, c'est celui de Rome. […] La vocation propre à Rome entre les peuples n'est-elle pas justement l'Empire? D'autres auront l'art, d'autres la science, d'autres encore l'éloquence, « mais toi, Romain, souviens toi d'imposer aux peuples ton empire; ton art, à toi, sera de faire régner la paix entre les nations, en épargnant les vaincus et abattant les superbes » (Enéide VI, 851-853). Dans la perspective chrétienne élargie du poète, la fonction providentielle de Rome dans l'unification politique du globe devient celle qu'elle exerce du même coup dans le grand œuvre de la rédemption universelle. Ce n'est pas sans raison que Jésus-Christ a voulu naître dans l'Empire romain, au temps où la paix politique régnait entre les peuples. L'Empire romain, Virgile et l'Enéide sont trois moments inséparables de la genèse du Poème Sacré. » (Etienne Gilson. Dante et Béatrice)

Dom  Guéranger a chanté avec admiration la romanité de l’Eglise et Louis Veuillot, argumentant à partir de la donation de Constantin, s’exclamait fièrement : « Rome est au Pape ». Cela est vrai mais, ainsi que l’écrivait si sagement le P. Calmel : « L’Église n’est pas le corps mystique du pape ; l’Église avec le pape est le corps mystique du Christ », et l’Eglise ne lui a pas été donnée, mais confiée : dans l’Eglise, le pape demeure toujours le serviteur, et non le maître. C’est Rome qui prêche l’immuable vérité à laquelle le pape doit fidèlement prêter sa voix. « Si le pape est le vicaire visible de Jésus qui est remonté dans les cieux invisibles, il n’est pas plus que le vicaire : vices gerens, il tient lieu mais il demeure autre. Ce n’est point du pape que dérive la grâce qui fait vivre le corps mystique. »

Le Christ est devenu romain lorsque l’Eglise est devenue romaine, lorsque Rome a été baptisée par le sang des martyrs, pour devenir chrétienne, et la patrie de tous les chrétiens. Ce sont les martyrs qui ont pris possession de Rome, pour la donner à Jésus-Christ, bien avant que Constantin en fasse don au Pape. Oui, Rome est au pape, mais Rome est d’abord à Jésus-Christ.

L’Eglise, qui est le Corps mystique du Christ est Romaine. Et St Pie X avait sagement ajouté ces précisions aux quatre notes traditionnelles de l’Eglise, en janvier 1907 : L'Église est appelée une, sainte, catholique, apostolique, romaine et, j'ajouterai, persécutée. Jésus-Christ ne l'a-t-Il pas dit ? La persécution est le pain quotidien de l'Église catholique. C'est un des caractères de l'Église d'être toujours persécutée. La persécution est le signe que nous sommes vraiment les enfants de l'Église de Jésus-Christ. »

Et Mgr Lefebvre voulait que se prêtres soient « romains ». Dans les débuts de la Fraternité, il envoyait les jeunes prêtres passer six mois à Rome pour « acquérir l’esprit et le sens de l’Eglise catholique et Romaine, et approfondir le mystère de leur sainte Messe… Qu’ils quittent Rome avec un attachement indéfectible à Pierre et à ses successeurs, dans la mesure où ils sont vraiment ses successeurs et se comportent comme tels » (lettre du 15 septembre 1977). Le dernier chapitre de son Itinéraire spirituel est encore un hommage à la romanité de l’Eglise : « Dieu, qui conduit toutes choses, a dans sa sagesse infinie préparé Rome à devenir le siège de Pierre et le centre du rayonnement de l'Evangile. […] La "Romanité" n'est pas un vain mot. […] Aimons scruter comme les voies de la Providence et de la Sagesse divine passent par Rome et nous conclurons qu'on ne peut être catholique sans être romain. […] Dieu a voulu que le Christianisme, coulé en quelque sorte dans le moule romain, en reçoive une vigueur et une expansion exceptionnelles. »

C’est parce qu’il était citoyen romain que St Paul, en ayant appelé à César, est venu mourir à Rome, mais c’est Jésus-Christ lui-même qui a voulu que St Pierre soit crucifié à Rome. Et le Christ est devenu romain lorsque Pierre et Paul ont baptisé de leur sang la terre de Rome. C’est pourquoi nous aimons Rome comme nous aimons l’Eglise et Jésus-Christ, et nous sommes romains de toute notre âme parce que c’est là que St Pierre et St Paul ont planté les racines de la Sainte Eglise, dont la  tête est Jésus-Christ, l’âme le Saint-Esprit, le cœur la Vierge Marie, et nous tous les membres pécheurs.

C’est Rome qui conserve pour nous la foi et la vérité pour laquelle sont morts les martyrs. C’est Rome qui chante la gloire de Jésus-Christ. Et l’Eglise Romaine est belle et sainte, malgré les pécheurs que nous sommes, parce qu’elle nous révèle encore aujourd’hui le doux visage de Jésus-Christ, roi des âmes, des familles et des peuples.

« O Roma Felix…
Rome bienheureuse, qui as été consacrée
par le sang glorieux de ces deux princes !
empourprée de leur sang, à toi seule
tu surpasses toutes les autres beautés du monde. »

(Hymne des vêpres du 29 juin)