20 juillet 2016

[Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX France] Le devoir de transmettre

SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX France - n°70 - juillet 2016

Les chrétiens ont le droit d’habiter en toute simplicité cette masse antique de l’édifice de la liturgie « grégorienne », pour bénéficier, même s’ils ne s’en rendent pas toujours bien compte, de cet immense trésor lié à toute l’histoire de l’Église. 
          
Les mystères les plus profonds de notre foi sont en effet atteints, chez l’ensemble des croyants, par la pratique liturgique beaucoup plus que par la spéculation théologique. Bien des chrétiens ne sauraient définir le mystère de la sainte Trinité en termes corrects au point de vue théologique. Mais ils professent sans cesse ce mystère en faisant le signe de la croix, en participant à la messe qui est offerte au Père par le Fils dans l’unité du Saint-Esprit, en chantant Gloria Patri à la fin d’un psaume ou d’une dizaine de chapelet. 
          
Or le caractère conservateur de la liturgie lui permet de transmettre intactes les valeurs dont une époque peut avoir oublié l’importance, mais que l’époque suivante sera heureuse de retrouver inviolées et préservées, pour en vivre à nouveau. Où serions-nous si le conservatisme liturgique n’avait pas résisté au goût du Moyen Âge finissant pour les dévotions sensibles, aux impératifs individualistes, raisonnables et moralisants du XVIIIe siècle, à la critique du XIXe , aux philosophies subjectivistes de l’époque moderniste ? Grâce à la liturgie, tout nous a été gardé et transmis. 
          
Nous ne sommes pas, en effet, des êtres isolés dans l’histoire de l’Église : nous faisons partie d’une immense chaîne partie du Christ lui-même. C’est parce que les chrétiens du temps passé ont été fidèles à transmettre l’héritage que nous pouvons en jouir aujourd’hui. Et c’est dans la mesure où nous serons fidèles à le transmettre que ceux qui viendront après nous pourront encore en vivre. 
          
Il faut garder pour notre part la conscience salubre de ne porter nous-mêmes qu’un moment d’affleurement à l’actualité d’une réalité qui nous dépasse à tous égards, et ne pas nous exposer à encourir, dans quelques années, le reproche d’avoir dilapidé, par négligence, le patrimoine sacré de la communion catholique telle qu’elle se déploie dans le lent déroulement du temps. Si nous cédions au démon de la nouveauté et de la rupture, les générations à venir porteraient sur nous, à bon droit, un jugement sévère pour les avoir privées de l’héritage sacré auquel elles avaient droit. 
          
Toucher à la liturgie, ne serait-ce pas ce qu’il y a de plus dangereux pour la foi d’un peuple ? Lex orandi, lex credendi. Les institutions peuvent se désagréger, les responsables faillir à leur tâche, l’enseignement se scléroser, le rite demeure. Tant que les chrétiens célébreront la liturgie reçue des Pères dans la foi, l’Église vivra. Le catéchète le sait, pour qui il n’y a pas de Parole qui ne s’enracine dans l’expérience du sacrement et n’y conduise : sans cet humus, pas de foi vivante. 
          
Tout fidèle catholique possède ainsi un droit inaliénable à recevoir l’héritage sacré de la foi qu’est la liturgie « grégorienne ». Il en a besoin pour entrer de façon sûre et profonde dans le mystère de Dieu. L’expérience toujours vivante des saints ayant vécu dans l’amitié du Christ que lui transmet cette liturgie est pour lui le chemin sans écueil qui mène à la vie éternelle, et on ne peut le priver de ce patrimoine.