5 juillet 2016

[Paix Liturgique] "Je trouvais l'ancienne liturgie bien plus portée vers la beauté et la liturgie"

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°549 - 5 juillet 2016

I – ENTRETIEN AVEC PHILIPPE DAVERIO(Propos recueillis par Bruno Volpe pour La Fede Quotidiana, 10 mai 2016)
La Fede Quotidiana : Professeur Daverio, peut-on dire que les nouvelles églises ne brillent pas par leur esthétique ?
Philippe Daverio&nbs p;: En matière d’art sacré, sauf exception notoire, il est juste aujourd’hui de parler de déclin du sens esthétique. Je dirais même qu’en bien des cas c’est la laideur qui prévaut. Tout cela s’inscrit dans un mouvement global de déclin du sens esthétique et dépend de plusieurs facteurs.

FQ : Lesquels ?
Philippe Daverio : La raison principale est que souvent les donneurs d’ordre n’ont pas les idées claires sur ce qu’ils veulent et finissent par laisser carte blanche aux architectes qui, parfois, ne sont même pas croyants, même si ce dernier point n’est pas essentiel. Un autre facteur est la perte généralisée du sens du sacré dans la société, Église catholique comprise. En pratique, on considère, de façon erronée, que la splendeur et le luxe sacrés sont à éviter et que la dignité esthétique appartient au passé. Prévaut ainsi un minimalisme insidieux de nivellement par le bas.

FQ : Quand a commencé ce mouvement ?
Philippe Daverio : Pour rester dans le cadre strict de l’Église catholique et donc de l’art ou de l’architecture religieuse, ce basculement a commencé sous Léon XIII quand s’est affirmée la doctrine sociale de l’Église. Le mouvement s’est accéléré après le concile Vatican II quand on a imposé l’idée que même l’art sacré devait s’adapter au contexte social. De sorte que la vision verticale qui avait prévalu tout au long des siècles a laissé la place à une vision horizontale.

FQ : Pouvez-vous nous donner un exemple de laideur en matière d’art sacré moderne ?
Philippe Daverio : Avant tout, qu’il soit bien clair que je ne condamne pas le moderne par principe. Il y a des exemples de bonne architecture religieuse moderne dans le monde entier mais aussi en Italie, je pense par exemple à certaines églises milanaises. En revanche, l’église de Foligno (voir photo) et surtout celle de Padre Pio, à San Giovanni Rotondo, sont incontestablement des modèles de la laideur.

FQ : Pourquoi ?
Philippe Daverio : La basilique de San Giovanni Rotondo est une sorte de garage, froid et distant, en opposition totale à la pensée du saint, l’exact contraire de ce qu’aurait sûrement voulu Padre Pio. Dans ce cas, toutefois, la responsabilité n’est pas de l’architecte – qui est excellent et a travaillé selon sa sensibilité – mais du donneur d’ordre qui n’avait probablement pas les idées très arrêtées.

FQ : Cette conception minimaliste de l’art et de l’architecture sacrés a-t-elle selon vous aussi pénétrée la liturgie ?
Philippe Daverio : Je ne suis pas un théologien mais, franchement, je trouvais l’ancienne liturgie bien plus portée vers la beauté et la dignité. Je n’aime pas les guitares en liberté dans nos églises, qui ne riment à rien et font colonie de vacance s. La guitare, instrument éminemment noble par ailleurs, est horrible à la messe. L’usage de la langue vernaculaire aussi a banalisé la liturgie et réduit l’idée même du mystère. Je me demande où il est donc écrit qu’il faille toujours tout comprendre ? Quelle est cette prétention en matière sacrée ?
II – LES RÉFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1) Lors des ordinations de quatre nouveaux prêtres de la Fraternité Saint-P ierre en la cathédrale d’Auxerre, le 18 juin 2016, il était frappant de voir combien la plupart des touristes qui entraient dans le lieu saint en pleine cérémonie se montraient, après un premier mouvement de surprise, comme aimantés par le rite inhabituel qui se déroulait dans le sanctuaire. La solennité du rite, la majesté de l’orgue, le recueillement des fidèles faisaient d’autant plus forte impression sur eux que le cadre de cette cathédrale gothique s’y prêtait parfaitement.

2) Le jugement de Daverio porte sur la production architecturale italienne mais, puisqu’il cite San Giovanni Rotondo, on peut dire que ce sont tous les principaux sanctuaires internationaux qui ont été défigurés dans les dernières décennies : Fatima, Guada lupe, Lourdes... Les Lourdais disent en riant (jaune !) que la Basilique souterraine Saint-Pie X, immense ovale de béton inauguré en 1958, ressemble à s’y méprendre à un parking souterrain tandis que l’église Sainte-Bernadette, avec ses cloisons amovibles et ses colonnes genre conduites d’eau en fibrociment, construite à la fin des années 80 dans la prairie, en face de la Grotte, figure une espèce de supérette.

3) On peut discuter du lien que fait Daverio entre Rerum novarum et le déclin de l’art sacré : Léon XIII n’avait certes pas un toujours un goût parfait, mais il était très fastueux dans le déploiement liturgique et la construction d’édifices sacrés. Il n’en est pas moins vrai que le « grand basculement », dont parle Daverio, a bien commencé à la fin du XIXème siècle, avec l’alliance du goût sulpicien et de l’ère industrielle. « Tout s’est encanaillé, écrivait Huysmans. La magnificence de la cathédrale, l’attrait des costumes, l’ampleur des liturgies tutélaires ne sont plus ». Et de fulminer : « L’homme seul, sans une suggestion issue des gémonies de l’au-delà, ne parviendrait pas à déshonorer Dieu de la sorte ». Au point que, selon lui, devant « une telle pléthore de bassesse, une telle hémorragie de mauvais goût, forcément, l’idée d’une intervention du Très-Bas s’impose » (Les Foules de Lourdes, 1907).

4) Et pourtant, dans les basili ques pasticho-romano-byzantines, vivait toujours l’antique et céleste liturgie romaine. Vint le moment, avec la réforme de Vatican II, où ce trésor lui-même a été dilapidé : « Je ne suis pas un théologien, dit Philippe Daverio, mais franchement je trouvais l’ancienne liturgie bien plus portée vers la beauté et la dignité. Je n’aime pas les guitares en liberté dans nos églises, qui ne riment à rien et font colonie de vacances ». Avec la cathédrale d’Évry, de Mario Botta, l’architecte de Jack Lang, le contenant s’adapte au contenu liturgique nouveau. Ce n’est plus le message de Chartres ou de Reims, mais le signe d’une Église au sein de la cité nouvelle, cathédrale en forme de cône tronqué, recouverte d’un to it en triangle, dont l’agencement interne n’a rien à envier à l’aménagement d’une salle de théâtre contemporaine. Harmonie parfaite de l’édifice sacré avec une liturgie en chasubles Castelbajac ! (*)

5) Une liturgie faite pour être « comprise », mais dont tout le mystère s’est évaporé. « Je me demande où il est donc écrit qu’il faille toujours tout comprendre ? » Ces propos de Philippe Daverio rejoignent ceux du jeune metteur en scène de théâtre Luigi Martinelli que nous avons rapportés dans notre lettre 535 : « La logique suivie [par la réforme liturgique] est éminemment moderne. C’est celle de la dévaluation du rituel, qui consiste à détourner l’attention de sa puissance émotive vers sa signification, dans l’illusion que comprendre le rite c’est le vivre. » En fait, ce que Daverio rappelle, c’est que le culte catholique est avant tout mystère. Mysterium tremendum et fascinans, écrivait le théologien luthérien Rudolf Otto (« mystère effrayant et fascinant », voir notre lettre 519). Mystère, enfin, qui guide toute l’œuvre de Joseph Ratzinger comme le pape émérite vient de le rappeler lors du 65ème anniversaire de son ordination sacerdotale, remerciant le cardinal Müller – qui a coordonné la publication de ses œuvres complètes – pour son tr avail « de présentation de mes textes sur le sacerdoce, dans lesquels j’essaie d’aider nos confrères à entrer de nouveau dans le mystère par lequel le Seigneur se donne à travers nos mains ».
--
(*) Certains reprochent à la liturgie traditionnelle d'être dispendieuse mais l'art sacré contemporain est loin d'être à la portée de toutes les bourses...